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Alessandra Casella et Antonin Macé*

Cet article a été initialement publié dans l’édition de novembre 2020 des 5 articles…en 5 minutes.

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Autoriser les citoyens à échanger leurs votes (vote contre vote, ou vote contre argent) pourrait-il contribuer à leur bien-être ? Si l’idée d’introduire un marché dans la sphère politique peut paraître saugrenue voire révoltante au premier abord, force est de constater que de tels échanges existent déjà en pratique. Les échanges de votes entre législateurs (A vote avec B sur la décision X si B vote avec A sur la décision Y) sont bien documentés au Congrès américain, de même que les arrangements entre États dans les organisations internationales.

Dans cet article, Alessandra Casella et Antonin Macé proposent une revue de la littérature (théorique et expérimentale) consacrée aux différentes formes de marchés d’échange de vote, articulée autour des avantages et inconvénients de ces marchés pour la collectivité.
Les travaux sur les échanges de vote – un vote sur une décision étant échangé contre un vote sur une autre décision – se développent fortement dans les années 60 et 70, sous l’impulsion de Buchanan et Tullock (1), qui voient dans ces échanges un remède à l’instabilité et à l’inefficacité de la règle majoritaire. Les travaux ultérieurs sont moins optimistes : s’il est vrai que de tels échanges peuvent conduire à des allocations stables, ils ne permettent généralement pas d’atteindre des décisions efficaces du point de vue du bien-être collectif. En effet, les échanges de votes produisent de fortes externalités : si l’échange est profitable pour les votants qui y souscrivent, ils affectent les décisions prises par tous les votants dans leur ensemble, et l’effet global est souvent négatif.
D’autres travaux considèrent la possibilité d’échanger des votes contre de l’argent directement (pour un vote sur une seule décision), en se plaçant dans le scenario le plus favorable possible d’une société où tous les citoyens disposeraient du même budget. Même sous cette hypothèse, le marché est très inefficace et il est préférable d’interdire toute transaction. En revanche, une forme centralisée de marché peut conduire à des décisions efficaces, lorsque chaque citoyen achète des votes auprès de l’autorité électorale, à un coût quadratique : si 1 vote coûte 1 euro, alors 2 votes coûtent 4 euros et 10 votes coûtent 100 euros ! Si cette propriété théorique d’efficacité peut être démontrée dans des expériences contrôlées en laboratoire avec un petit nombre de votants, elle semble par contre fragile en pratique, pour deux raisons : le mécanisme crée des incitations à la collusion, et par ailleurs il n’est plus efficace s’il existe des inégalités de budget entre individus.

Dès lors, faut-il complètement abandonner l’idée d’échanger des votes ? Au contraire, des travaux récents montrent l’intérêt de formes particulières d’échange, qui autorisent seulement les citoyens (ou législateurs) à « échanger avec eux-mêmes » (d’une décision à l’autre). Dans la forme la plus simple, chacun aurait un vote sur chaque décision, plus un vote « bonus » qu’il pourrait allouer sur la décision qui lui tient le plus à cœur. A la différence de la règle majoritaire simple, ce mécanisme de « votes stockables » permet aux minorités politiques de gagner certaines décisions, précisément celles qui sont les plus importantes pour elles. En pratique, ce mécanisme pourrait être employé par les citoyens en cas de référendum multiple, ou par les parlementaires lorsque plusieurs nominations sont décidées simultanément.

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(1) James Buchanan and Gordon Tullock (1962), The Calculus of Consent, University of Michigan Press

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Références

Titre original de l’article : Does Vote Trading Improve Welfare ?

Publié dans : PSE Working Paper n°2020-51

Disponible via : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02922012/


* Chercheur PSE

Crédits visuel : Shutterstock – Halfpoint