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Francis Bloch* et Gabrielle Demange*

Cet article a été initialement publié dans l’édition de septembre 2021 des 5 articles…en 5 minutes.

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Les règles de taxation des profits des multinationales, édictées dans les années 1920, ne sont clairement plus adaptées à l’économie numérique et permettent, en particulier, aux GAFAM d’échapper en grande partie à une imposition des profits. Face à cette situation, plusieurs pays, dont la France, ont proposé de mettre en place de façon unilatérale, une taxation spécifique sur le chiffre d’affaires des plates-formes numériques. Au niveau multilatéral, suite aux récentes annonces de l’administration Biden, plus de 130 pays semblent en bonne voie de s’accorder sur deux nouvelles règles de taxation des profits (1). L’une (dit premier pilier) accorde aux pays de marché, où les multinationales vendent et créent de la valeur, le droit de taxer une partie des profits des multinationales. L’autre (dit second pilier) instaure un taux d’imposition minimal de 15% en autorisant le pays du siège social de taxer tout profit réalisé à l’extérieur imposé à moins de 15%.

Dans cet article, Francis Bloch et Gabrielle Demange analysent, sous le régime du premier pilier, l’effet de différences de taux de taxe sur le comportement d’une plate-forme en monopole. Ils mettent l’accent sur les externalités de réseau, négatives ou positives, dues à la participation d’agents de différents pays sur les mêmes plates-formes. Ils comparent deux règles de partage des profits : la première repose sur la déclaration sincère des profits réalisés par les plates-formes dans chaque pays (en anglais « separate accounting ») ; la seconde, qui s’applique quand les profits ne sont pas directement observables, alloue les profits sur la base d’une clef de répartition comme le nombre d’utilisateurs dans chaque pays ( en anglais « formula apportionment »).

Leur premier résultat montre que, même en l’absence de mécanisme de transfert comme le paiement de royalties ou d’intérêts sur des prêts entre filiales, la plate-forme peut transférer une part de ses profits dans les pays à faible taux de taxation. Dans le système de comptabilité séparée, elle exploitera les externalités de réseau pour manipuler la demande et les profits dans les deux pays ; dans le système de partage par clef de répartition, elle ajustera le nombre d’utilisateurs pour affecter la clef de répartition. Cette réaction de la plate-forme à des différences de taux de taxes, conduit à des distorsions qui sont analysées dans un second ensemble de résultats. Les auteurs distinguent entre l’effet direct et l’effet indirect d’une augmentation du taux de taxe dans un pays. L’effet direct est calculé en supposant que les quantités restent fixes dans l’autre pays. L’effet indirect résulte d’une adaptation des quantités dans l’autre pays due aux externalités de réseau. En régime de comptabilité séparée, le signe de l’effet direct dépend du signe des externalités de réseau : si les externalités sont positives, la plate-forme augmente la quantité dans le pays à taxation élevée, alors qu’elle la diminue quand les externalités sont négatives. En régime de partage à clef de répartition, la plate-forme a toujours intérêt à diminuer le nombre d’utilisateurs dans le pays à taxation élevée. On voit donc que, quand les externalités sont positives, l’effet d’une augmentation du taux de taxe sur les prix et les quantités sont opposés dans les deux régimes : les prix baissent dans le pays à taxation élevée en comptabilité séparée mais augmentent avec le partage à clef de répartition.

F. Bloch et G. Demange réalisent un ensemble de simulations numériques pour comparer les prix, profits et recettes fiscales dans les deux régimes de partage des profits. Ces simulations montrent que les distorsions sont plus élevées dans le régime à clef de répartition que dans le régime de comptabilité séparée. De plus, les deux pays ont des préférences opposées sur les deux régimes : à niveau de taux d’imposition fixe, le pays à taxation élevée a des recettes fiscales plus élevées dans le régime de comptabilité séparée, et le pays à taxation faible, des recettes fiscales plus élevées dans le régime de partage à clef de répartition.

(1) On pourra lire l’ analyse des auteurs dans la tribune du Monde, 27 Juillet 2021 : « L’accord de Venise sur la taxation des multinationales reste à négocier »

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Références

Titre original de l’article : Profit-splitting rules and the taxation of multinational Internet platforms

Publié dans : International Tax and Public Finance 28(4), 855-889 (2021)

Disponible via : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02502468/

* Chercheur PSE